Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/345

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tu permis de fréquenter le monde, si tu le jugeais si nuisible que tu aies cessé de m’aimer à cause de lui ?

— Ce n’est pas le monde, mon amie.

— Pourquoi n’as-tu pas employé ton pouvoir, ne m’as-tu pas ligotée, tuée ? Ce serait mieux que d’être privée de tout ce qui faisait mon bonheur. Je me sentirais bien, je n’aurais pas honte.

Je sanglotai de nouveau et cachai mon visage.

À ce moment, Katia et Sonia, gaies et mouillées, en causant et riant fort, entrèrent sur la terrasse. Mais, en nous apercevant, elles se turent et sortirent aussitôt.

Nous nous tûmes longtemps. Je versai toutes mes larmes et me sentis soulagée. Je le regardai. Il était assis, la tête appuyée sur la main et voulait dire quelque chose en réponse à mon regard ; mais il soupira lourdement et s’accouda de nouveau. Je m’approchai de lui, retirai sa main. Son regard pensif se tourna vers moi.

— Oui, se mit-il à dire, — continuant ses pensées, — oui, nous tous, et surtout vous, femmes, devons parcourir nous-mêmes toute la sottise de la vie pour retourner à la vie vraie ; on ne peut se fier à l’expérience des autres. Tu étais encore loin alors d’épuiser cette charmante et délicate frivolité que j’admirais en toi et je t’ai laissé vivre. J’ai senti que je n’avais pas le droit de te gêner, bien