Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/346

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que pour moi le temps fût passé depuis longtemps.

— Pourquoi me permettais-tu la frivolité si tu m’aimais ? — dis-je.

— Parce que même, si tu l’avais voulu, tu n’aurais pu me croire ; tu devais apprendre toi-même et tu as appris.

— Tu as raisonné, beaucoup raisonné, tu aimais peu.

Nous nous tûmes de nouveau.

— C’est cruel ce que tu viens de dire, mais c’est vrai, — prononça-t-il tout à coup en se levant et en commençant à marcher sur la terrasse. — Oui, c’est vrai. — Il s’arrêta en face de moi. — Ou je ne devais pas du tout me permettre de t’aimer, ou aimer plus simplement ; oui.

— Oublions tout, — dis-je timidement.

— Non, ce qui est passé est passé et ne se retrouvera jamais.

À ces paroles sa voix s’adoucit.

— Tout est retrouvé déjà ! — dis-je en posant une main sur son épaule.

Il retira ma main et la serra.

— Non, je n’ai pas dit vrai, en disant que je ne regrette pas le passé ; non, je le regrette, je pleure cet amour qui n’est plus et ne peut plus être. À qui la faute ? Je ne sais. L’amour reste, mais différent. Sa place reste, mais lui a presque disparu. Il n’y a déjà plus en lui la force et la suavité, seul est resté le souvenir reconnaissant, mais…