Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/76

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— Maintenant, tirez ensemble ! Plus d’efforts d’un coup ! — crie la voix de Féodor Philippitch.

Les bâtons mouillés apparaissent.

— Il y a quelque chose, c’est lourd à tirer, les frères ! — dit quelqu’un.

Les ailes, où se débattent deux ou trois carassins, en mouillant et froissant l’herbe, glissent sur le bord. Et voilà, à travers la couche mince, troublée de l’eau bourbeuse, dans le filet tendu, on aperçoit quelque chose de blanc.

Un soupir d’horreur, faible, mais très perceptible dans le silence de mort, passe dans la foule.

— Tirez plus fort, ensemble ! Tirez sur l’endroit sec ! — s’entend la voix ferme de Féodor Philippitch. Et sur les tiges coupées des mauvaises herbes on traîne le noyé jusqu’au cythise.

Et je vois ma bonne vieille tante en robe de soie, je vois son ombrelle violette à franges qui, je ne sais pourquoi, est si incompatible avec ce tableau de la mort, horrible par sa simplicité, et son visage prêt à pleurer. Je me rappelle le désappointement, exprimé sur ce visage, qu’on ne puisse avoir d’arnica, et le sentiment pénible et triste éprouvé quand, avec l’angoisse naïve de l’amour elle me dit : « Allons-nous en, mon ami. Ah ! c’est si terrible ! Et voilà, tu te baignes toujours seul et tu nages ! »

Je me rappelle comment le soleil clair et ardent brûlait la terre sèche et poudreuse sous les pieds,