Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà plus volontiers ; de temps en temps il fallait les fouetter, et le cheval du milieu, un grand bon cheval robuste, buta deux fois, mais immédiatement, s’effrayant lui-même, il tirait en avant et rejetait sa crinière échevelée presque sous les clochettes. Le bricolier de droite que je remarquais malgré moi avec son avaloir long qui se balançait et sautillait, ne tendait plus ses traits et il fallait user du fouet. Mais en bon cheval, même ardent, il semblait fâché de sa faiblesse, levait et baissait la tête rageusement comme pour demander la bride. En effet la tourmente était effrayante à voir et le froid devenait de plus en plus fort. Les chevaux faiblissaient, la route devenait plus mauvaise et nous ne savions pas du tout où nous étions, où il fallait aller, non pas même au relais mais à un asile quelconque. Et c’était ridicule et étrange d’entendre les clochettes sonner du même tintement joyeux, et Ignachka crier joliment avec entrain, comme si nous nous promenions dans le village par un beau jour de fête, froid, ensoleillé.

Et principalement c’était étrange de penser que nous marchions toujours et très vite quelque part, loin de cet endroit où nous nous trouvions. Ignachka se mit à chanter un couplet quelconque, d’un vilain fausset, mais si haut et avec de telles pauses, pendant lesquelles il sifflait, qu’il était ridicule d’avoir peur pendant qu’on l’écoutait.