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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/182

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me repoussait de ses mamelles. Un jour le palefrenier chef vint et ordonna de lui mettre le mors et de l’emmener dans l’enclos. Elle hennit ; je lui répondis et me jetai derrière elle, mais elle ne se tourna pas vers moi. Le cocher Tarass me saisit pendant qu’on refermait la porte sur ma mère qui partait.

Je m’élançai, je renversai le palefrenier dans la paille, mais la porte était fermée et je n’entendais que le hennissement de plus en plus lointain de ma mère, et dans ce hennissement je ne sentais plus l’appel, mais une autre expression. À sa voix, répondit, de loin, la voix puissante que je reconnus après, celle de Dobrï premier, que deux palefreniers amenaient au rendez-vous avec ma mère.

Je ne me rappelle pas comment Tarass sortit de l’enclos. J’étais très triste et je sentais que j’avais perdu pour toujours l’amour de ma mère.

« Et tout cela parce que je suis pie», pensai-je en me rappelant les paroles des gens à propos de mon pelage ; et je fus pris d’une telle colère que je commençai à me frapper la tête et les genoux contre les murs de l’écurie, et je fis cela jusqu’à ce que, tout en sueur, je succombasse à la fatigue.

Quelque temps après, ma mère revint près de moi : je l’entendis arriver à l’écurie par le couloir, au trot, et d’une allure pas habituelle. On lui ouvrit la porte ; je ne la reconnus pas tant elle était rajeunie et embellie. Elle me flaira, s’ébroua