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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/190

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Mais ces paroles eurent sur moi une grande influence.

J’y pensai sans cesse et, longtemps après, par les rapports les plus divers avec les hommes, je compris enfin la signification qu’ils attribuaient à ces expressions étranges. Voici leur signification : les hommes ne se guident pas dans la vie par des actes, mais par des paroles. Ils aiment moins la possibilité de faire ou de ne pas faire quelque chose, que celle de parler de divers objets avec des paroles convenues entre eux. Les paroles qu’ils regardent comme très importantes sont : mon, mien. Ils les disent de divers objets, de divers êtres, de diverses choses, même de la terre, des hommes, des chevaux. Ils conviennent que pour une certaine chose un seul homme dira ma. Et celui qui, selon ce jeu convenu entre eux, dit : mon, sur le plus grand nombre de choses, celui-ci est considéré comme le plus heureux. Pourquoi cela, je ne sais, mais c’est ainsi. Depuis longtemps j’essayais de me l’expliquer par des avantages directs mais c’était inexact. Par exemple, beaucoup de ces gens qui m’ont appelé leur cheval n’ont pas monté sur moi, mais d’autres me montaient. Ce n’étaient pas eux non plus qui me nourrissaient, mais d’autres ; ce n’étaient pas ceux qui m’appelaient « leur cheval » qui me faisaient du bien, mais le palefrenier, le vétérinaire et, en général, des étrangers.