Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/195

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levait instantanément ; pas trace du moindre effort ; chaque effort faisait avancer.

Cygne passa devant nous, je m’avançai sur la piste. Le palefrenier ne me retenait pas.

— Quoi ! ne faut-il pas mesurer mon cheval pie ? cria-t-il.

Et quand Cygne se trouva pour la seconde fois sur la même ligne que moi, il me laissa. Cygne avait déjà de l’entraînement, c’est pourquoi je fus en retard au premier tour. Mais au second, j’avais regagné de la distance ; je m’approchai du drojki, puis le rejoignis et le dépassai. On fit une seconde expérience : la même chose. J’étais plus vif. Cette circonstance horrifia tout le monde. Le général exigea qu’on me vendît au plus vite et le plus loin possible pour qu’on n’entendît pas parler de moi. « Autrement le comte le saura et ce sera un malheur ! » disait-il. Et l’on me vendit à la foire, à un maquignon. Je restai peu de temps chez le maquignon. Un hussard envoyé pour la remonte m’acheta. Tout cela était si injuste, si cruel, que j’étais heureux quand on m’emmena du haras de Khrienovo et qu’on me sépara pour toujours de ceux qui m’étaient chers et proches. Je souffrais trop parmi eux. Amour, honneur, liberté, ils avaient tout, et moi : travail, humiliation, travail jusqu’à la fin de mes jours. Pourquoi ? Parce que j’étais pie et qu’à cause de cela je devais être le cheval de n’importe qui… »

Kholstomier ne put en raconter plus long ce