Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/198

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je dans nos beaux jours — j’en serai heureux ! »

Il m’acheta chez le maquignon à qui le palefrenier m’avait vendu huit cents roubles. Il m’acheta parce qu’il n’avait pas de pie. Ce fut mon meilleur temps. Il avait une maîtresse. Je le savais parce que chaque jour je le menais chez elle et que, parfois, je les promenais ensemble.

Sa maîtresse était une beauté ; lui aussi était beau, et son cocher aussi, et à cause de cela je les aimais tous, j’étais enchanté de la vie. Ma vie se passait ainsi : le matin, l’aide-palefrenier venait me nettoyer, pas le palefrenier lui-même, mais son aide, c’était un jeune garçon pris parmi les paysans. Il ouvrait la porte, faisait sortir la vapeur, ôtait le fumier, la couverture, et commençait à me gratter le corps avec une brosse, et avec une étrille, il marquait des taches blanches sur les poutres du parquet creusées par des crampons. En plaisantant, je mordais ses manches et frappais du pied. Ensuite on nous amenait l’un après l’autre vers un baquet d’eau froide, et le garçon admirait les taches pies, lissées, résultat de son travail, la jambe droite comme une flèche avec un large sabot, et la croupe luisante et le dos large au point de s’y coucher. Derrière le haut râtelier, on mettait du foin, et dans l’auge de chêne, l’avoine. Théophane arrivait, puis le palefrenier en chef.

Le maître et le cocher se ressemblaient. Tous les deux n’avaient peur de rien et n’aimaient personne,