Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/202

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comprends. Une, deux, trois… mon allure est de plus en plus large ; en tressaillant de chaque muscle, je jette la neige avec la boue sur le devant du traîneau. Dans ce temps, on n’avait pas aussi la sotte habitude d’aujourd’hui de crier : « Oh ! » comme si le cocher se trouvait mal, mais le compréhensible : « Va ! prends garde ! va ! »

— Va, prends garde ! crie Théophane, et les gens s’écartent et s’arrêtent et tournent la tête pour admirer le beau hongre, le beau cocher et le beau maître…

J’aimais surtout à dépasser un trotteur. Quand de loin, avec Théophane, nous apercevions un attelage digne de nos efforts, en courant comme le vent, nous l’approchions de plus en plus. Lançant déjà la boue derrière le traîneau je rejoignais le voyageur. Je m’ébrouais au dessus de sa tête. J’étais au même rang que l’autre, qui disparaissait à ma vue et, derrière, je n’entendais plus que des sons de plus en plus lointains. Et le prince, Théophane et moi, nous nous taisions et avions l’air d’aller tout simplement à notre affaire sans remarquer les chevaux lambins que nous rencontrions en chemin. J’aimais dépasser un beau trotteur, mais j’aimais aussi me rencontrer avec lui. Une minute, un son, un regard, nous sommes déjà séparés, et, de nouveau, isolés chacun de notre côté…

Les portes grincèrent ; les voix de Nester et de Vaska se firent entendre.