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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/204

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dépassai : cris et acclamations d’enthousiasme me saluèrent. Quand on me promena, la foule me suivit. Cinq personnes proposèrent au prince des milliers… Il se contenta de rire en montrant ses dents blanches.

— Non, dit-il, ce n’est pas un cheval, c’est un ami. Je ne le donnerais pas pour un monceau d’or. Au revoir, messieurs !

Il ouvrit le tablier et s’assit.

— À Ostojenka !

C’était la demeure de sa maîtresse, et nous volons… C’était notre dernier jour de bonheur. Nous arrivâmes chez elle. Il l’appelait la sienne, et elle en aimait un autre, elle était partie avec lui. Il apprit cela chez elle, dans son appartement. Il était cinq heures. Sans me dételer il partit la chercher. Ce qui n’était jamais arrivé, on me fouetta et l’on me lança au galop.

Pour la première fois je butai, et, honteux voulus me rattraper. Mais tout à coup j’entends le prince qui crie d’une voix changée : Frappe ! Et le fouet siffle et me cingle… Je galopais et frappais des pattes sur le devant du traîneau. Nous l’avons rejointe à vingt-cinq verstes. Je l’amenai, mais tremblai toute la nuit, et ne pus rien manger. Le matin on me donna de l’eau. Je bus, et pour toujours j’avais cessé d’être le cheval que j’étais, j’étais malade. On m’a tourmenté, estropié, soigné, comme disent les hommes. Mes