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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/218

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Il voulait parler de soi, se vanter, et Serpoukhovskoï voulait aussi parler de soi, de son passé brillant. Le maître lui versa du vin en attendant qu’il eût fini pour raconter ses propres affaires : pour parler de son haras, installé comme on n’avait jamais vu, pour dire que sa maîtresse l’aimait non pour l’argent, mais par le cœur.

— J’ai voulu te dire qu’à mon haras, — commença-t-il… mais Serpoukhovskoï l’interrompit.

— Je puis dire qu’il y avait un temps où j’aimais et savais vivre. Tu parles de courses. Eh bien, dis lequel de tes chevaux est le plus vif ?

Le maître, content de l’occasion de parler de son haras, commença. Mais Serpoukhovskoï l’interrompit de nouveau.

— Oui, oui, chez vous, propriétaires de haras, il n’y a que l’ambition, ce n’est pas pour le plaisir, pour la vie… Chez moi ce n’était pas cela… Ainsi je t’ai dit aujourd’hui que j’avais un cheval pie, taché comme celui que montait ton palefrenier. C’était un cheval ! Tu ne peux le savoir, c’était en 1842. Je venais d’arriver à Moscou, je me rendis chez le maquignon et vis ce hongre pie. Il me plut. Combien ? Mille roubles. Il me plaisait, je le pris et je me mis à sortir avec lui. Ni toi ni moi n’avons eu et n’aurons un pareil cheval ; je n’ai pas connu de cheval meilleur ni par l’allure, ni par la force, ni par la beauté. Tu étais alors un gamin, tu n’as pu le connaître, mais je pense que tu en