Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/243

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non seulement du voyage, non seulement des dures et longues années, mais de toute la vie, et ce lointain qu’elle regardait et où se présentaient à elle des visages vivants, aimés, était ce repos qu’elle désirait. Était-ce l’acte d’amour accompli pour son mari, son amour pour les enfants quand ils étaient petits, était-ce dû à une perte grave ou à la particularité de son caractère, mais chacun en voyant cette femme devait comprendre qu’il n’y avait plus rien à attendre d’elle, que depuis longtemps elle avait tout donné à la vie et qu’il ne lui restait plus rien. Il restait en elle quelque chose de beau, triste, digne de respect, comme un souvenir, comme un clair de lune. On ne pouvait se la représenter autrement qu’entourée du respect et de tout le confort de la vie. Il ne pouvait lui arriver d’avoir faim et de manger gloutonnement, d’avoir du linge sale, de tomber, d’oublier de se moucher. Avec elle, c’était matériellement impossible. Pourquoi ? Je ne sais, mais chacun de ses mouvements était, pour qui les pouvait voir, plein de majesté, de grâce, de charme…

Sie pflegen und weben
Himmlische Hosen ins irdische Leben
[1].

Elle connaissait ces vers et les aimait ; mais ils

  1. Elles soignent et tissent, pour la vie terrestre, des
    roses belles comme celles des cieux. (Schiller.)