Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/244

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ne guidaient pas sa vie. Toute sa nature était l’expression de cette idée, toute sa vie était en l’apport inconscient de roses invisibles dans la vie de tous ceux qu’elle rencontrait. Elle avait suivi son mari en Sibérie uniquement parce qu’elle l’aimait. Elle ne pensait pas à ce qu’elle pouvait faire pour lui et, sans y penser, elle faisait tout. Elle lui faisait son lit, arrangeait ses affaires, lui préparait le dîner et le thé, et surtout, elle était toujours avec lui et aucune femme ne pouvait donner à son mari plus de bonheur.

Le samovar était sur la table ronde du salon. Natalia Nikolaievna était assise devant. Sonia fronçait les sourcils et souriait sous la main de sa mère qui la chatouillait, quand le père et le fils entrèrent dans la chambre avec le bout des doigts plissés, les joues et le front luisants (surtout le crâne blanc du père), les cheveux blancs et noirs soyeux.

— Il fait plus clair depuis que vous êtes entrés, dit Natalia Nikolaievna. — Mes aïeux ! Comme tu es blanc ! — Elle disait cela chaque samedi, depuis des dizaines d’années, et chaque samedi ces mots faisaient éprouver à Pierre de la gêne et du plaisir. Ils s’assirent autour de la table et ce fut l’odeur du thé et de la pipe, les voix des enfants, des parents, des domestiques qui, dans la même chambre, recevaient leur tasse. On se rappelait les incidents drôles arrivés en route, on admirait la coiffure de Sonia, on riait.