Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/208

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le Tout-Puissant, dans sa miséricorde, nous a donné pour souverain. Sans parler de mes frères, cette guerre m’a privée d’une relation des plus chères à mon cœur. Je parle du jeune Nicolas Rostoff, qui, avec son enthousiasme, n’a pu supporter l’inaction et a quitté l’Université pour aller s’enrôler dans l’armée. Eh bien, chère Marie, je vous avouerai, que, malgré son extrême jeunesse, son départ pour l’armée a été un grand chagrin pour moi. Le jeune homme, dont je vous parlais cet été, a tant de noblesse, de véritable jeunesse qu’on rencontre si rarement dans le siècle où nous vivons parmi nos vieillards de vingt ans, il a surtout tant de franchise et de cœur, il est tellement pur et poétique, que mes relations avec lui, quelque passagères qu’elles fussent, ont été l’une des plus douces jouissances de mon pauvre cœur, qui a déjà tant souffert. Je vous raconterai un jour nos adieux et tout ce qui s’est dit en partant. Tout cela est encore trop frais. Ah ! chère amie, vous êtes heureuse de ne pas connaître ces jouissances et ces peines si poignantes. Vous êtes heureuse, puisque les dernières sont ordinairement les plus fortes ! Je sais fort bien que le comte Nicolas est trop jeune pour pouvoir jamais devenir pour moi quelque chose de plus qu’un ami, mais cette douce amitié, ces relations si poétiques et si pures ont été un besoin pour mon cœur. Mais n’en parlons plus. La grande nouvelle du jour qui