Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/332

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le Danube, et le courant, les cols mystérieux, les forêts de pins entourées de brouillard… Là-bas, tout est calme, heureux…

« Je ne désirerais rien si j’étais là-bas, » pensa Rostov. « En moi seul et dans ce soleil, il y a tant de bonheur, et ici… les gémissements, les souffrances, la peur, et cette incertitude, cette fièvre… De nouveau on crie quelque chose, de nouveau tous retournent là-bas en courant et je cours avec eux, et voilà… la mort est près de moi, autour de moi… Encore un moment, et déjà je ne verrai plus jamais ce soleil, cette eau, ce col… » À ce moment, le soleil commença à se cacher derrière les nuages ; d’autres brancards parurent devant Rostov. Et la peur de la mort et des brancards et l’amour du soleil et de la vie, tout se confondit en une impression maladive et troublante.

« Oh mon Dieu, Seigneur, toi qui es au ciel, sauve-moi, pardonne-moi et protège-moi », murmura Rostov. Le hussard accourut vers les chevaux, les voix devenaient plus fortes et plus calmes ; les brancards disparurent à ses yeux.

— Quoi ! mon che’, tu as senti la poud’e ! — cria à son oreille Vaska Denissov. « Tout est fini et je suis un poltron, oui, un poltron, » pensa Rostov. En soupirant lourdement, il prit des mains du soldat son Gratchik et l’enfourcha.

— Qu’était-ce ? La mitraille ? — demanda-t-il à Denissov.