Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/114

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bai qu’il montait ; sa main, gantée de blanc, tendit les guides et il avança, accompagné de la mer mouvante de ses aides de camp, il s’éloignait de plus en plus, s’arrêtait devant d’autres régiments, et Rostov ne distingua bientôt que son plumet blanc à travers la suite qui entourait les empereurs.

Parmi les personnes de la suite, Rostov remarqua Bolkonskï qui se tenait à cheval nonchalamment, négligemment. Rostov se rappela sa querelle de la veille avec lui, et il se demanda : « Faut-il ou non le provoquer ? Non, sans doute, et, en général, faut-il parler de cela, y penser en un tel moment ? Auprès de tels sentiments d’amour, d’enthousiasme, de sacrifice, que signifient toutes nos querelles et nos offenses ? Je les aime tous et maintenant je pardonne à tous. »

Quand l’Empereur eut parcouru presque tous les régiments, les troupes commencèrent à défiler devant lui dans une marche cérémoniale. Rostov, sur son Bédouin, récemment acheté à Denissov, passa en queue de son escadron, c’est-à-dire seul et tout à fait en vue de l’Empereur. Avant d’arriver à l’Empereur, Rostov, en bon cavalier, donna deux fois des éperons à son Bédouin et l’amena heureusement jusqu’à cette allure furieuse du trot que prenait Bédouin échauffé : sa gueule écumante abaissée sur son poitrail, la queue soulevée, à peine touchant le sol, comme s’il fendait l’air, levant gracieusement, haut les pattes, Bédouin