Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/153

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La nuit était brumeuse et, à travers le brouillard, le clair de lune glissait mystérieusement. « Oui, demain, demain, — pensait-il — demain peut-être tout sera-t-il fini pour moi ; tous ces souvenirs ne seront peut-être plus, ils n’auront plus pour moi aucun sens, et demain peut-être, même sûrement, je le pressens, pour la première fois je devrai enfin montrer tout ce que je puis faire. »

Et il se représentait la bataille, la défaite, la concentration de la bataille sur un seul point, l’embarras de tous les chefs. Et voilà : ce moment heureux, ce Toulon qu’il a attendu si longtemps s’offre enfin à lui. Il exprime fermement et nettement son opinion à Koutouzov, à Veyroter, aux empereurs. Tous sont frappés de la justesse de ses considérations, mais personne ne s’engage à les réaliser. Alors, il prend un régiment, une division, s’assure que personne ne se mêlera de ses dispositions et il conduit sa division au point décisif, et, à lui seul, il remporte la victoire. « Et la mort et les souffrances, » dit une autre voix. Mais le prince André ne répond pas à cette voix et continue ses succès.

La bataille suivante est élaborée par lui seul. Officiellement il est près de Koutouzov, mais il fait tout lui-même. La bataille suivante est gagnée par lui seul, Koutouzov est déplacé et c’est lui qu’on nomme… « Et bien, et après ? » dit de nouveau une voix. « Et après, si avant d’accomplir