Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/154

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cela tu n’es pas dix fois blessé, tué, si tu ne t’es pas trompé ; et bien, après ? » — « Après, se répond le prince André, je ne sais pas, après, je ne veux pas, et ne peux pas le savoir. Mais si je désire cela, si je veux la gloire, si je veux que les hommes me connaissent, qu’ils m’aiment, suis-je donc coupable, suis-je coupable de vouloir cela seul, de ne vivre que pour cela ? Oui, seulement pour cela ! Je ne l’avouerai jamais à personne, mais, mon Dieu, que donc faire si je n’aime que la gloire, l’amour des hommes. La mort, les blessures, la perte de la famille, rien ne m’effraye. Si chers que puissent m’être mon père, ma sœur, ma femme, et ceux que j’aime le plus, si terrible et antinaturel que ce puisse paraître, je les donnerais tous sans hésiter, pour un moment de gloire, de triomphe, pour l’amour d’hommes que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais, pour l’amour de ces hommes-là » — fit-il, en entendant causer dans la cour de Koutouzov.

Dans la cour de Koutouzov on entendait les voix des brosseurs qui s’apprêtaient à se coucher ; une voix, probablement celle d’un cocher, agaçait le vieux cuisinier de Koutouzov, appelé Tite, que le prince André connaissait, et disait : «Tite, eh Tite ?»

— Quoi ?

— Tite, va battre le blé[1], — répondit celui qui plaisantait.

  1. Jeu de rimes intraduisible.