Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/255

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soumettre. Se sentant en leur pouvoir, Bagration, résolument, prit des deux mains le plateau, et, mécontent, d’un air de reproche, regarda le comte qui l’avait apporté. Quelqu’un de serviable prit le plateau des mains de Bagration (autrement il avait l’air de vouloir le tenir jusqu’au soir et d’aller ainsi à table) et attira son attention sur les vers.

« Eh bien, je lirai, » parut dire Bagration ; et fixant ses yeux fatigués sur le papier il se mit à lire d’un air concentré et sérieux. L’auteur des vers les prit et lut : Le prince Bagration inclina la tête et écouta :

« Sois donc la gloire du siècle d’Alexandre,
» Garde notre Titus sur le trône,
» Sois à la fois le chef redoutable, l’homme bon,
» Le rempart de la patrie et le César du champ de bataille.
» Oui, l’heureux Napoléon
» Quand il saura par expérience ce qu’est Bagration,
» N’osera plus inquiéter les Achilles russes… »

Il n’avait pas encore achevé sa lecture que le maître d’hôtel annonça d’une voix retentissante :

« Le dîner est servi ! » Les portes s’ouvrirent. Dans la salle à manger l’orchestre fit entendre les sons de cette polonaise : « Qu’éclate le tonnerre de la victoire ; que les Russes courageux se réjouissent ! »

Le comte Ilia Andréiévitch, en jetant un regard méchant sur l’auteur qui continuait à lire les vers,