Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/265

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Pierre avait l’air d’un homme préoccupé de tout autre chose que du duel. Son visage affairé était bilieux : il paraissait n’avoir pas dormi de la nuit. Il regardait distraitement autour de lui et fronçait les sourcils comme s’il eût été gêné par un clair soleil. Deux choses l’absorbaient tout entier : la culpabilité de sa femme dont, après une nuit sans sommeil, il ne doutait pas, et l’innocence de Dolokhov qui n’avait aucun motif pour respecter l’honneur d’un homme étranger pour lui. « Peut-être qu’à sa place je ferais la même chose, pensa Pierre. Oui, certainement, je ferais la même chose. Alors à quoi bon ce duel, ce meurtre ? Et moi je le tuerai, ou c’est lui qui me frappera à la tête, au bras ou à la jambe. S’en aller d’ici, s’enfuir, disparaître quelque part », pensait-il. Mais au moment même où lui venaient de pareilles idées, d’un air particulièrement tranquille et indifférent, qui inspirait le respect à ceux qui le voyaient, il demandait : « Est-ce bientôt ? Sont-ils prêts ? »

Quand tout fût prêt, les sabres enfoncés dans la neige, pour marquer la ligne où il fallait se tenir, les pistolets chargés, Nesvitzkï s’approcha de Pierre.

— Je ne remplirais pas mon devoir, comte, dit-il d’une voix timide, et je ne justifierais pas la confiance que vous avez eue en moi et l’honneur que vous m’avez fait en me choisissant pour témoin, si à ce moment grave, très grave, je ne vous