Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/277

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demain tu mourras ; moi, il y a une heure je pouvais mourir. Est-ce donc la peine de se tourmenter quand il ne reste à vivre qu’une seconde en comparaison de l’éternité ? »

Mais tandis qu’il se croyait tranquillisé par un raisonnement de cette sorte, tout à coup elle se présentait à lui, et au moment où il lui exprimait le plus ardemment son amour menteur, il sentait son sang affluer au cœur et devait se lever, se mouvoir, briser, déchirer les objets qui lui tombaient sous la main. « Pourquoi lui ai-je dit : je vous aime ? » se répétait-il toujours. Après s’être posé cette question pour la dixième fois, il lui vint à l’esprit l’expression de Molière : « mais que diable allait-il faire dans cette galère, » et il rit de lui même.

Pendant la nuit il appela son valet de chambre et lui ordonna de préparer les malles pour partir à Pétersbourg. Il ne pouvait s’imaginer comment il parlerait maintenant avec elle. Il décida de partir le lendemain et de lui laisser une lettre dans laquelle il lui déclarerait son intention de se séparer d’elle pour toujours.

Le matin, quand le valet de chambre apporta le café, Pierre était couché sur le divan et dormait un livre ouvert à la main. Il s’éveilla ; longtemps regarda autour de lui, effrayé, ne pouvant comprendre où il se trouvait.

— Madame la comtesse a ordonné de de-