Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/29

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ridée et disait : « À demain » ou « viens dîner, autrement je ne te verrais pas », ou « je reste pour toi, » etc. Bien que, quand le prince Vassili restait pour Pierre (comme il le disait) il ne lui adressât pas deux paroles, Pierre ne se sentait pas le courage de tromper son attente. Chaque jour il se disait la même chose : « Il faut enfin comprendre et se rendre compte de ce qu’elle est. Me suis-je trompé avant, ou bien est-ce que je me trompe maintenant ? Non, elle n’est pas sotte, c’est une jeune fille charmante ; jamais elle ne se trompe, jamais elle ne dit rien de sot ; elle parle très peu mais ce qu’elle dit est toujours simple et clair. Alors elle n’est pas sotte ; jamais elle ne fut embarrassée. Alors ce n’est pas une mauvaise femme ! » Souvent il lui arrivait de commencer à discuter avec elle, de penser à haute voix, et chaque fois elle lui répondait ou par une observation brève, mais très à propos, qui montrait que cela ne l’intéressait pas, ou par un sourire silencieux et un regard qui, mieux que tout, montrait à Pierre sa supériorité. Elle avait raison en jugeant toutes les discussions puériles auprès de ses sourires.

Elle s’adressait toujours à lui avec un sourire joyeux, confiant, spécial pour lui seul et dans lequel il y avait quelque chose de plus que dans le sourire habituel qui éclairait toujours son visage. Pierre savait que tous attendaient de lui qu’il prononçât enfin un mot, qu’il franchît une certaine