Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/34

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d’être si audacieusement excitante, heureuse. » « Et quelle bêtise que tout ce que je raconte, comme si cela m’intéressait, — pensait le diplomate en regardant les visages heureux des amoureux. — Voilà le bonheur ! »

Parmi ces intérêts mesquins, petits, artificiels qui liaient cette société, surgissait le sentiment simple de la fougue réciproque de deux êtres, homme et femme, jeunes, beaux, sains. Et ce sentiment humain surpassait tout et dominait tout ce bavardage artificiel. Les plaisanteries n’étaient pas gaies, les nouvelles pas intéressantes, l’animation pas sincère. Non seulement eux, mais les valets qui servaient à table semblaient obéir à la même préoccupation et oublier leur service en regardant la belle Hélène avec son visage brillant et le visage rouge, gros, heureux et inquiet de Pierre. Il semblait même que les feux des bougies se concentrassent seulement sur ces deux visages heureux.

Pierre sentait qu’il était le centre de tout et il en était joyeux et gêné. Il se trouvait dans l’état d’un homme plongé dans quelque occupation. Il ne voyait rien clairement, ne comprenait, n’entendait rien ; seulement parfois, tout à fait à l’improviste, des pensées éparses traversaient son âme, des impressions se détachaient de la réalité : « Alors tout est déjà fini ! Et comment tout cela s’est-il fait ? Si vite ? Maintenant je sais que