Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/346

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réfléchir et continuait à penser à une chose si importante qu’il ne faisait aucune attention à ce qui se passait autour de lui. Non seulement il ne se souciait pas d’arriver plus tôt ou plus tard à Pétersbourg, mais il ne se souciait pas davantage de savoir si, au relais, il aurait une place pour se reposer. Auprès des pensées qui l’occupaient maintenant, il lui était égal de passer quelques heures ou toute sa vie au relais.

Le maître de poste, sa femme, le valet de pied, une femme, vendant la broderie du pays, entraient dans la salle et lui proposaient leurs services. Pierre, sans déplacer ses jambes, les regardait à travers ses lunettes sans comprendre ce qu’ils désiraient et comment tous pouvaient vivre sans avoir à résoudre les questions qui l’occupaient. Et les questions qui l’occupaient étaient toujours les mêmes depuis qu’après le duel, en revenant de Sokolniki, il avait passé la première nuit inquiète, sans sommeil.

Maintenant seulement, dans l’isolement du voyage, ces idées s’emparaient de lui avec une force extraordinaire. Il avait beau se mettre à penser à n’importe quoi, il revenait toujours aux questions qu’il ne pouvait ni résoudre ni cesser de se poser, comme si, dans sa tête, s’enfoncait cette vis principale à laquelle tenait toute sa vie. La vis n’allait pas plus loin, ne s’éloignait pas, mais tournait, tournait sans rien saisir, toujours