Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/438

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aussi heureux qu’auparavant. Mais c’est nécessaire pour ces hommes qui périssent moralement, qui se repentent, mais étouffent le repentir et s’abrutissent de ce fait qu’ils ont la possibilité de supplicier justement et injustement. Voilà qui je plains, et pour qui je désirerais émanciper les paysans. Tu n’en as peut-être pas vu, et moi j’ai vu de braves gens, élevés dans la tradition du pouvoir illimité, et qui, avec les années, deviennent plus cruels et grossiers, le savent, mais ne peuvent se retenir et sont de plus en plus malheureux.

Le prince André dit cela avec tant de conviction que Pierre pensa malgré lui que ses idées lui étaient inspirées par son père. Il ne répondit rien.

— Alors voilà qui je plains : la dignité humaine, la tranquillité et la pureté de la conscience, et non leurs dos et leurs fronts, qui, on a beau les fouetter ou les raser, restent toujours les mêmes dos et fronts.

— Non, non, mille fois non. Je ne serai jamais de votre avis, — dit Pierre.