Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/437

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il n’est pas méchant, mais d’un caractère trop vif. Il est terrible par son habitude de pouvoir illimité et surtout maintenant, avec ce pouvoir de chef de milice que lui a octroyé l’Empereur. Il y a deux semaines, si j’avais tardé de deux heures, il aurait pendu un greffier à Ukhnov, — fit le prince André avec un sourire. — Alors je sers, parce que sauf moi, personne n’a d’influence sur mon père, et parfois je lui évite un acte qui, après, le tourmenterait beaucoup.

— Ah ! eh bien ! vous voyez !

— Oui, mais ce n’est pas comme vous l’entendez, continua le prince André. — Je ne désire pas le moindre bien, je n’en désirais pas à cette canaille de greffier qui avait volé des bottes aux miliciens, j’aurais même été content de le voir pendre, mais je plaignais mon père, c’est-à-dire moi-même.

Le prince André s’animait de plus en plus. Ses yeux brillaient fiévreusement pendant qu’il tâchait de prouver à Pierre que dans ses actes il n’y avait jamais le désir de faire le bien du prochain.

— Eh bien ! Voilà, tu veux affranchir les paysans, c’est très bien, mais pas pour toi (je pense que tu n’as fouetté à mort personne, ni déporté personne en Sibérie), et encore moins pour les paysans. Et même si l’on bat les paysans, si on les fouette, si on les envoie en Sibérie, je pense que ce n’est pas pire pour eux. En Sibérie ils mènent la même vie bestiale : les cicatrices sur le corps guérissent et ils sont