Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/166

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ne faut pas parler de cela, une seule chose : quoi qu’il vous arrive, quand je ne serai pas là…

— Que peut-il donc arriver ?

— Quelque malheur qu’il advienne, je vous demande, mademoiselle Sophie, de vous adresser à lui seul pour le conseil et l’aide. C’est l’homme le plus distrait et le plus drôle, mais c’est un cœur d’or.

Ni le père, ni la mère, ni Sonia, ni le prince André lui-même ne pouvaient prévoir quel effet la séparation avec son fiancé produirait sur Natacha. Rouge et émue, les yeux secs, elle parcourait tout le jour la maison, s’occupant des choses les plus minimes, comme si elle ne comprenait pas ce qui l’attendait. Elle ne pleurait pas, même au moment où, lui disant adieu, il baisa pour la dernière fois sa main. — « Ne partez pas ! » lui dit-elle d’une voix qui lui fit se demander si en effet il ne devait pas rester, et dont il se souvint pendant longtemps. Quand il fut parti, elle ne pleura pas non plus, mais, pendant quelques jours, elle restait assise dans sa chambre, ne s’intéressant à rien et parfois seulement disant : « Ah ! pourquoi est-il parti ! »

Mais deux semaines après son départ, à la surprise de ceux qui l’entouraient, elle s’éveilla de son malaise moral, devint telle qu’auparavant, mais avec son individualité morale changée, comme chez les enfants qui se lèvent avec une autre physionomie, après une longue maladie…