Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/325

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cette erreur parce que, premièrement, elle était devenue un très riche parti, et, deuxièmement, parce que plus elle vieillissait, plus les hommes pouvaient sans danger se conduire librement avec elle, et sans aucune obligation, pouvaient jouir de ses soupers, de ses soirées et de la société animée qui se réunissait chez elle. Un homme qui, dix ans auparavant, aurait eu peur d’aller chaque jour dans une maison où il y avait une jeune fille de dix-sept ans, dans la crainte de la compromettre et pour ne pas s’engager, venait maintenant hardiment chez elle chaque jour, et se tenait avec elle non comme avec une demoiselle à marier mais comme avec une connaissance insexuée.

Cet hiver, la maison des Karaguine était à Moscou la plus agréable et la plus hospitalière. Outre les soirées et les dîners, chaque jour, une grande société se réunissait chez les Karaguine, on y soupait à minuit et l’on y restait jusqu’à trois heures. Julie ne manquait pas un bal, pas une promenade, pas un spectacle ; ses toilettes étaient toujours à la dernière mode, mais malgré cela Julie semblait désenchantée de tout. Elle disait à chacun qu’elle ne croyait ni à l’amitié ni à l’amour, ni aux joies de la vie, et n’attendait la tranquillité que là-bas. Elle adoptait le ton d’une jeune fille qui a éprouvé de grandes désillusions, qui a perdu l’homme aimé ou qui a été cruellement trompée par lui. Bien qu’il ne lui fût arrivé rien de pareil, on le pen-