Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/439

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— Je me rappelle, répondit vivement le prince André. J’ai dit qu’il faut pardonner à la femme qui tombe, mais je n’ai pas dit que je pouvais pardonner. Moi, je ne le puis pas.

— Peut-on comparer cela ?…

Le prince André l’interrompit. Il s’écria d’une voix aiguë :

— Oui, demander de nouveau sa main, être magnanime, etc. ? Oui, c’est très noble, mais moi, je ne suis pas capable de marcher sur les brisées de monsieur. Si tu veux être mon ami, ne me parle jamais de cette… de tout cela. Eh bien, au revoir, tu remettras ?

Pierre le quitta et alla chez le vieux prince et la princesse Marie. Le vieux semblait plus animé qu’à l’ordinaire. La princesse Marie était comme toujours, mais à travers la compassion pour son frère, Pierre voyait en elle la joie que le mariage de son frère fût manqué. En la regardant, Pierre comprit quel mépris et quelle colère ils avaient tous contre la Rostov. Il comprit que devant eux on ne pouvait même mentionner le nom de celle qui avait pu changer le prince André pour n’importe qui.

Pendant le dîner il fut question de la guerre qui semblait imminente. Le prince André parlait et discutait sans cesse, tantôt avec son père, tantôt avec Desalles, le précepteur suisse, et semblait plus animé que d’ordinaire, et Pierre connaissait bien la cause morale d’une telle animation.