Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/172

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— Quoi, mon ami ?

— Nous n’avons pas de gants, — répétai-je en m’approchant tout près et en posant mes deux mains sur les bras du fauteuil.

— Eh bien, et cela ? — dit-elle en m’attrapant subitement par la main gauche. — Voyez, ma chère, — continua-t-elle en s’adressant à madame Valakhina, — voyez comme ce jeune homme s’est fait élégant pour danser avec votre fille.

Grand’mère me serrait fortement la main, et gravement, regardait d’un air interrogateur les invités, jusqu’à ce que, la curiosité de tous étant satisfaite, un rire général éclatât.

J’eusse été très attristé que Serioja me vît, dans ce moment, quand, tout décomposé de honte, j’essayais en vain de délivrer ma main, mais devant Sonitchka qui riait aux larmes et dont les boucles dansaient autour de son visage empourpré, je n’avais aucune honte. Je compris que son rire était trop clair et trop naturel pour être moqueur, au contraire, ce fait d’avoir ri ensemble, en nous regardant l’un l’autre dans les yeux, me rapprocha d’elle. L’aventure du gant, qui eût pu finir mal, me donna cet avantage, qu’elle me mit à l’aise dans une société qui m’effrayait toujours — celle du salon ; et je n’éprouvais plus déjà la moindre gêne dans la grande salle.

Les souffrances des personnes timides viennent de leur ignorance de l’opinion qu’on a d’elles ; dès