Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/179

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— dit à mon oreille la voix irritée de papa, et m’éloignant doucement, il prit la main de ma danseuse, fit avec elle un tour à l’ancienne mode, que tout le monde admira et il la reconduisit à sa place. Juste en ce moment finit la mazurka.

— Mon Dieu ! pourquoi me punis-tu si cruellement !… Tout le monde me méprise et me méprisera toujours… la route m’est à jamais fermée : amitié, amour, honneur,.. tout est perdu ! Pourquoi Volodia me faisait-il des signes que chacun remarquait et qui étaient inutiles ? pourquoi cette affreuse princesse regardait-elle ainsi mes pieds ? pourquoi Sonitchka… elle est bien gentille, mais pourquoi souriait-elle en ce moment ? pourquoi papa a-t-il rougi et m’a-t-il pris par le bras ? Aurait-il honte de moi ? Oh ! c’est affreux ! Si maman était là, elle ne rougirait pas de son Nikolenka !…

Mon imagination vole vers cette chère image. Je me souviens de la prairie devant la maison, des grands tilleuls du jardin, de l’étang pur sur lequel les hirondelles volent en rond, du ciel bleu marbré de nuages blancs et diaphanes, des meules odorantes de foin fraîchement coupé et encore de maints souvenirs paisibles, colorés, qui flottent dans mon imagination troublée.