Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/352

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Cette ressemblance n’était ni dans le visage, ni dans la stature, mais dans quelque chose d’insaisissable, dans les mains, dans la manière de marcher et surtout dans la voix et dans quelques expressions. Quand Lubotchka se fâchait et disait : « Il y a un siècle entier qu’on ne me laisse pas » ces mots : il y a un siècle entier, que maman avait l’habitude de dire, elle les prononçait d’une telle façon, en traînant un siècle entier, qu’on croyait entendre maman. Mais la plus extraordinaire ressemblance était dans son jeu au piano et dans toutes ses attitudes en jouant ; elle arrangeait ses jupes et tournait la feuille, par le haut, de la main gauche, de la même façon que maman ; comme elle aussi, de dépit, elle frappait du poing le clavier, quand elle ne pouvait venir à bout d’un passage difficile, et disait : « Ah ! mon Dieu ! » Et elle avait la même insaisissable délicatesse et netteté de jeu, de ce délicieux jeu de l’école de Field, si bien appelé jeu perlé, dont tous les trucs et tours de force des pianistes modernes n’ont pu faire oublier le charme.

Papa entra au salon à petits pas rapides et s’approcha de Lubotchka qui cessa de jouer en l’apercevant.

— Non, Luba, joue, joue, — dit-il en la rasseyant, — tu sais comme j’aime à t’écouter.

Lubotchka continua à jouer et longtemps, papa, appuyé sur les mains, resta assis en face d’elle ;