Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/370

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— dit Nekhludov avec un sourire qui me sembla légèrement méprisant.

— L’amour-propre, c’est la conviction que je suis meilleur et plus intelligent que tous les autres.

— Mais comment tous peuvent-ils être convaincus de cela ?

— Je ne sais pas si c’est juste ou non, mais seulement personne, excepté moi, ne l’avoue. Moi je suis convaincu que je suis le plus intelligent de tous au monde, et je suis convaincu que vous pensez la même chose de vous.

— Non, je dirai moi-même que j’ai rencontré des hommes que je reconnais pour plus intelligents que moi — dit Nekhludov.

— C’est impossible — fis-je avec conviction.

— Est-ce que vous le pensez réellement ? — demanda Nekhludov en me regardant fixement.

— Sérieusement — répondis-je.

Et ici, spontanément, il me vint une idée que j’exposai aussitôt :

— Je vous le prouverai. Pourquoi nous aimons-nous plus que les autres ? Parce que nous nous croyons meilleurs que les autres, plus dignes d’amour ; si nous trouvions les autres meilleurs que nous, nous les aimerions plus que nous, et cela n’arrive jamais. Et si même cela arrive, j’ai encore raison — ajoutai-je avec un sourire involontaire de contentement de moi-même.

Nekhludov se tut un moment.