Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/42

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pressement avec lequel il cherchait à deviner la cause de mes larmes, les firent couler avec plus d’abondance. J’avais des remords, et je ne comprenais pas comment, une minute avant, j’avais pu ne pas aimer Karl Ivanovitch et trouver affreux sa robe de chambre et sa calotte à gland. Maintenant, au contraire, tout cela me paraissait charmant, et même le gland me semblait une preuve évidente de sa bonté. Je lui dis que je pleurais parce que j’avais fait un mauvais rêve… que maman était morte et qu’on allait l’enterrer. J’inventais cela, car je ne me rappelais pas du tout ce que j’avais rêvé cette nuit-là ; mais, quand Karl Ivanovitch, touché de mon récit, se mit à me consoler et à me tranquilliser, il me sembla avoir eu vraiment ce rêve affreux, et déjà mes larmes coulèrent pour une autre cause.

Lorsque Karl Ivanovitch m’eut quitté, et, que m’asseyant sur le lit, je commençai à mettre mes bas à mes petites jambes, mes larmes s’apaisèrent un peu, mais les sombres pensées du rêve inventé ne me quittaient pas. Notre diatka[1] Nikolai entra, — c’était un petit homme propret, toujours sérieux, ponctuel, respectueux et grand ami de Karl Ivanovitch. Il apportait nos habits et nos chaussures : des bottes pour Volodia, et pour moi, encore les insupportables souliers à rubans. J’a-

  1. Diatka — domestique serf ou libre chargé des fonctions de sous-gouverneur des enfants.