Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/46

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ne s’occupe de lui. Il dit, — et c’est la vérité, — qu’il est orphelin, et l’histoire de sa vie, comme elle est terrible ! Je me rappelle qu’un jour il l’a racontée à Nikolaï. C’est affreux d’être dans sa situation ! » Il me faisait si grand’pitié que j’allais à lui et disais en lui prenant la main : « Lieber Karl Ivanovitch ![1]. » Il aimait que je lui parlasse ainsi, et toujours il me caressait et l’on voyait qu’il était ému.

Sur l’autre mur étaient accrochées des cartes géographiques, presque toutes déchirées, mais habilement recollées par la main de Karl Ivanovitch. Sur le troisième mur, au milieu duquel était la porte d’en bas, étaient pendues d’un côté deux règles : l’une pleine d’entailles — la nôtre ; l’autre toute neuve — la sienne qu’il employait plus à nous stimuler qu’à tracer des lignes ; de l’autre côté, il y avait un tableau noir sur lequel nos grosses fautes étaient marquées par des ronds, et les petites par des croix. À gauche du tableau était le coin, où l’on nous mettait en pénitence, à genoux.

Comme je m’en souviens de ce coin ! Je me rappelle la porte du poêle, et la bouche de chaleur qui était dans la porte, et le bruit qu’elle faisait en tournant. Parfois, je restais dans le coin si longtemps, que le dos et les genoux me faisaient mal, et je pensais : « Karl Ivanovitch m’a oublié. Pour

  1. « Cher Karl Ivanovitch ! »