Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/65

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En rentrant dans la classe, Karl Ivanovitch me dit de me lever et de préparer mon cahier de dictées. Quand tout fut prêt, il s’installa majestueusement dans son fauteuil et, d’une voix qui semblait sortir d’un abîme, il commença à me dicter ce qui suit : Von al-len Lei-denschaf-ten die grau-sam-ste ist… « haben sie geschrieben »[1] ? — Ici il s’arrêta, aspira longuement une prise de tabac et reprit avec une nouvelle force : — die grausamste ist, die Undank-bar-keit… « Ein grosses U. »[2] En attendant la suite et écrivant le dernier mot, je le regardai.

Punctum. — dit-il avec un sourire à peine perceptible, et il nous fit signe de lui donner nos cahiers.

Avec des intonations variées et une expression de vif plaisir, il lut plusieurs fois, à haute voix, cette maxime qui rendait bien sa pensée intime ; ensuite il nous donna une leçon d’histoire, et s’assit près d’une fenêtre. Son visage n’était plus sombre comme auparavant, il exprimait le contentement de l’homme qui s’est dignement vengé d’un affront reçu.

Il était une heure moins un quart, mais Karl Ivanovitch n’avait pas l’air de penser à nous renvoyer et nous donnait toujours de nouvelles le-

  1. De tous les défauts, le plus cruel est… « Avez-vous écrit ? »
  2. Le plus cruel est… l’ingratitude… « Un grand U. »