Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/68

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— Ah ! attrape ! — cria-t-il en s’approchant à petits pas de Volodia qu’il saisit par la tête et dont il commença à examiner soigneusement le crâne ; ensuite d’un air sérieux il s’éloigna de lui et souffla sous la toile cirée, en faisant des signes de croix dessus.

— Oh ! oh ! dommage ! oh ! oh ! fait mal !… chéris… s’envolent — dit-il ensuite d’une voix tremblante de sanglots en regardant Volodia d’un air attendri, et en essuyant avec sa manche les pleurs qui coulaient réellement.

Sa voix était rude et rauque, ses mouvements étaient précipités et saccadés, ses discours, décousus et dénués de sens (il ne se servait jamais de pronoms), mais ses accents étaient si touchants, son horrible visage jaune prenait, par moments, une expression si triste, qu’on éprouvait malgré soi, en l’écoutant, un mélange de pitié, de frayeur et de tristesse.

C’était l’innocent, le pèlerin Gricha.

D’où était-il ? quels étaient ses parents ? qui l’avait poussé à adopter la vie errante qu’il menait ? — personne n’en savait rien. Je sais seulement que depuis l’âge de quinze ans on le connaissait comme innocent, qu’hiver comme été il marchait pieds nus, fréquentait les couvents, distribuait de petites images de Dieu à ceux qu’il aimait, et prononçait des paroles énigmatiques, où certaines personnes voyaient des prophéties, que jamais per-