Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/85

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puyai ma tête dans ma main et le contemplai avec plaisir.

Subitement, Girane poussa un hurlement et quitta sa place si brusquement que je faillis tomber. Je me retournai. À la lisière de la forêt, une oreille rabattue et l’autre dressée, sautait un lièvre. Le sang me monta à la tête, et spontanément, oubliant tout, d’une voix extraordinaire, je criai quelque chose, je lâchai le chien et me mis à courir. Mais, à peine avais-je commencé à faire cela que je me repentis : le lièvre s’assit, fit un saut et je ne le revis plus.

Mais quelle ne fut pas ma honte, quand, derrière les lévriers qui se montrèrent à la lisière, de l’autre côté du buisson, j’aperçus Tourka !

Il avait vu ma faute (celle de n’avoir pas pu me retenir), et, me regardant avec mépris, il me dit seulement : « Eh seigneur ! » Mais il fallait entendre l’intonation ! Je me serais senti mieux, s’il m’eût pris comme un lièvre et attaché à la selle. Longtemps, je fus au désespoir et demeurai à la même place ; je ne rappelais pas mon chien, et je répétais seulement en me frappant la cuisse :

— Mon Dieu, qu’ai-je fait !

J’entendais comment les lévriers couraient plus loin et piétinaient de l’autre côté de la clairière, et un coup de fusil, et Tourka appelant les chiens aux sons de son énorme cor, — mais je ne bougeais pas…