Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/115

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les soldats chantaient ses louanges, on disait qu’il était très bon…

Je me suis rappelé les derniers temps du règne d’Alexandre, quand vingt soldats sur cent étaient battus jusqu’à la mort ; que devait être Nicolas si comparé à lui, on qualifiait Alexandre de bon ?

— J’ai continué à servir sous Nicolas, dit le vieillard, et aussitôt il s’anima et commença à raconter. Quel temps ! Alors, pour cinquante coups de verge, on n’enlevait même pas le pantalon ; et avec cent cinquante, deux cents, trois cents coups… on fouettait jusqu’à la mort.

Il parlait avec dégoût, horreur, mais non sans fierté, de la bravoure d’autrefois.

— Et le bâton ! Il ne se passait pas de semaine sans qu’un ou deux hommes du régiment ne fussent battus à mort. Maintenant, on ne sait plus ce que c’est que le bâton, mais autrefois ce petit mot ne sortait pas de la bouche : bâton, bâton. Chez nous, les soldats appelaient l’empereur, Nicolas Palkine ; ils disaient Nicolas Palkine au lieu de Nicolas Pavlovitch. Et voilà, quand on se rappelle ce temps, continua le vieillard, quand on se le rappelle, c’est affreux. Que de péchés sur la conscience ! On te donnait cent cinquante coups de bâton pour la mauvaise conduite d’un soldat (le vieillard était sous-officier), et toi, tu lui en donnais deux cents, cela ne te guérissait pourtant pas ; et voilà le péché. Les sous-officiers battaient les