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Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/166

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dit-il. De nouveau il se remémora tout ce qui lui était arrivé, et de nouveau il fut horrifié à la pensée que personne ne l’aimait et qu’il n’aimait personne. Père, mère, amis ne pouvaient plus nourrir d’affection pour lui et ne pouvaient que souhaiter sa mort. Et lui-même aimait-il quelqu’un ? Des amis ? Il sentait qu’il n’en aimait aucun, tous étaient ses rivaux, tous étaient impitoyables pour lui dans le malheur. « Mon père ? » se demanda-t-il, et l’horreur le saisit quand, à cette question, il regarda dans sa conscience. Non seulement il n’aimait pas son père, mais il le haïssait pour les offenses qu’il lui avait faites. Si encore il n’avait fait que le haïr, mais il voyait clairement que pour son bonheur à lui, la mort de son père était nécessaire. « Oui, se demanda Jules, si j’étais sûr que personne ne pût me voir, que nul ne pût découvrir mon crime, que ferais-je ? » Et il se répondit : « Je le tuerais ! » Il se répondit cela et en fut horrifié. « Et ma mère ? J’ai de la pitié pour elle mais je ne l’aime pas non plus. Elle m’est indifférente. Tout ce que je veux, c’est son aide… Oui, je suis une bête fauve, une bête traquée, aux abois. La seule différence entre moi et la bête fauve, c’est que je puis, si je le veux, quitter cette vie maudite. Je puis faire ce que ne peut faire la bête fauve. Je puis me tuer. Je hais mon père. Je n’aime personne… pas même ma mère ni mes amis… peut-être Pamphile seul. »