Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/336

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si rien n’était arrivé me passent par la tête. Je pense à ces choses et je fume, je fume, je fume. Je songe à fuir, à m’échapper, à partir en Amérique. J’aime à rêver combien ce sera beau quand je me serai débarrassé d’elle, combien j’aimerai une autre femme, belle, toute différente d’elle. J’en serai débarrassé si elle meurt ou si je divorce, et j’invente les moyens d’arriver à cela. Je vois que je m’embrouille, mais, pour ne plus voir que je m’égare, je fume de plus belle.

Et à la maison, la vie suit son train. L’institutrice des enfants vient et demande : « Où est madame ? Quand rentrera-t-elle ? » Les domestiques demandent s’il faut servir le thé. J’entre dans la salle à manger. Les enfants, surtout les aînés, Lise qui comprend déjà, me regardent interrogativement et la mine renfrognée. Nous prenons le thé en silence. Elle ne vient pas ! La soirée se passe. Elle ne vient toujours pas. Deux sentiments alternent dans mon âme : la colère contre elle, qui nous torture, moi et les enfants, par son absence, et qui finira quand même par rentrer, et la crainte qu’elle ne rentre pas et ne tente quelque chose contre elle-même. Mais où la chercher ? Chez sa sœur ? On a l’air bête d’aller demander où est sa femme. D’ailleurs, que Dieu la garde ! Si elle veut tourmenter qu’elle se tourmente d’abord elle-même. Elle n’attend du reste que cela. Et la prochaine fois ce sera pis encore.