Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/133

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ouvrage qui durait depuis longtemps, et qu’elle retrouvait toujours dans les moments difficiles ; elle travaillait nerveusement, jetant ses mailles et comptant ses points. Quoiqu’elle eût dit la veille à son mari que l’arrivée de sa sœur lui importait peu, elle n’en avait pas moins tout préparé pour la recevoir.

Absorbée, écrasée par son chagrin, Dolly n’oubliait pourtant pas que sa belle-sœur Anna était la femme d’un personnage officiel important, une grande dame de Pétersbourg.

« Au bout du compte, Anna n’est pas coupable, se disait-elle, je ne sais rien d’elle qui ne soit en sa faveur, et nos relations ont toujours été bonnes et amicales. » Le souvenir qu’elle avait gardé de l’intérieur des Karénine à Pétersbourg ne lui était cependant pas agréable. Elle avait cru démêler quelque chose de faux dans leur genre de vie.

« Mais pourquoi ne la recevrais-je pas ! Pourvu toutefois qu’elle ne se mêle pas de me consoler ! pensait Dolly ; je les connais, ces résignations et consolations chrétiennes, et je sais ce qu’elles valent. »

Dolly avait passé ces derniers jours seule avec ses enfants ; elle ne voulait parler de sa douleur à personne, et ne se sentait cependant pas de force à causer de choses indifférentes. Il faudrait bien maintenant s’ouvrir à Anna, et tantôt elle se réjouissait de pouvoir enfin dire tout ce qu’elle avait sur le cœur, tantôt elle souffrait à la pensée de