Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/354

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l’obstacle, et distingua la voix de Yashvine, mais sans le voir.

« Oh ma charmante ! pensait-il de Frou-frou, tout en écoutant ce qui se passait derrière lui… Il a sauté », se dit-il en entendant approcher le galop de Gladiator.

Un dernier fossé, large de deux archines, restait encore ; c’est à peine si Wronsky y faisait attention, mais, voulant arriver premier, bien avant les autres, il se mit à rouler son cheval. La jument s’épuisait ; son cou et ses épaules étaient mouillés, la sueur perlait sur son garrot, sa tête et ses oreilles ; sa respiration devenait courte et haletante. Il savait cependant qu’elle serait de force à fournir les deux cents sagènes qui le séparaient du but, et ne remarquait l’accélération de la vitesse que parce qu’il touchait presque terre. Le fossé fut franchi sans qu’il s’en aperçût. Frou-frou s’envola comme un oiseau plutôt qu’elle ne sauta ; mais en ce moment Wronsky sentit avec horreur qu’au lieu de suivre l’allure du cheval, le poids de son corps avait porté à faux en retombant en selle, par un mouvement aussi inexplicable qu’impardonnable. Comment cela s’était-il fait ? il ne pouvait s’en rendre compte, mais il comprit qu’une chose terrible lui arrivait : l’alezan de Mahotine passa devant lui comme un éclair.

Wronsky touchait la terre d’un pied : la jument s’affaissa sur ce pied, et il eut à peine le temps de se dégager qu’elle tomba complètement, soufflant péniblement et faisant, de son cou délicat et cou-