Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/520

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et admis : Anna était une femme honnête qui, lui ayant donné son amour, avait tous les droits imaginables à son respect, plus même que si elle eût été sa femme légitime ; il se serait fait couper la main plutôt que de se permettre un mot, une allusion blessante, rien qui pût sembler contraire à l’estime et à la considération sur lesquelles une femme doit compter.

Ses rapports avec la société étaient également clairs ; chacun pouvait soupçonner sa liaison, personne ne devait oser en parler ; il était prêt à faire taire les indiscrets, et à les obliger de respecter l’honneur de celle qu’il avait déshonorée.

Ses rapports avec le mari étaient plus clairs encore ; du moment où il avait aimé Anna, ses droits sur elle lui semblaient imprescriptibles. Le mari était un personnage inutile, gênant, position certainement désagréable pour lui, mais à laquelle personne ne pouvait rien. Le seul droit qui lui restât était de réclamer une satisfaction par les armes, ce à quoi Wronsky était tout disposé.

Cependant les derniers jours avaient amené des incidents nouveaux, et Wronsky n’était pas prêt à les juger. La veille, Anna lui avait annoncé qu’elle était enceinte ; il sentait qu’elle attendait de lui une résolution quelconque ; or les principes qui dirigeaient sa vie ne déterminaient pas ce que devait être cette résolution ; au premier moment, son cœur l’avait poussé à exiger qu’elle quittât son mari ; maintenant il se demandait, après y avoir réfléchi,