Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/554

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« Belle Hélène » à l’étranger, dit le vieux propriétaire, dont la figure intelligente s’éclaira d’un sourire.

— Ce qui ne vous empêche pas de rester, dit Swiagesky ; par conséquent vous y trouvez votre compte.

— J’y trouve mon compte parce que je suis logé et nourri, et parce qu’on espère toujours, malgré tout, réformer le monde ; mais c’est une ivrognerie, un désordre incroyables ! les malheureux ont si bien partagé, que beaucoup d’entre eux n’ont plus ni cheval ni vache ; ils crèvent de faim. Essayez cependant, pour les sortir de peine, de les prendre comme ouvriers,… ils gâcheront tout, et trouveront encore moyen de vous traduire devant le juge de paix.

— Mais, vous aussi, vous pouvez vous plaindre au juge de paix, dit Swiagesky.

— Moi, me plaindre ? pour rien au monde ! Vous savez bien l’histoire de la fabrique ? Les ouvriers, après avoir touché des arrhes, ont tout planté là et sont partis. On a eu recours au juge de paix… Qu’a-t-il fait ? Il les a acquittés. Notre seule ressource est encore le tribunal de la commune ; là on vous rosse votre homme, comme dans le bon vieux temps. N’était le starchina[1], ce serait à fuir au bout du monde.

— Il me semble cependant qu’aucun de nous n’en vient là : ni moi, ni Levine, ni monsieur, dit Swiagesky en désignant le second propriétaire.

  1. L’ancien, élu tous les trois ans par la commune dont il est le chef.