Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/91

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Stépane Arcadiévitch se mit à rire.

« Ô moraliste ! mais comprends donc la situation : voilà deux femmes ; l’une se prévaut de ses droits, et ses droits sont ton amour que tu ne peux plus lui donner ; l’autre sacrifie tout et ne demande rien. Que doit-on faire ? comment se conduire ? C’est un drame effrayant !

— Si tu veux que je te confesse ce que j’en pense, je te dirai que je ne crois pas au drame ; voici pourquoi : selon moi, l’amour, les deux amours, tels que les caractérise Platon dans son Banquet, tu t’en souviens, servent de pierre de touche aux hommes : les uns ne comprennent qu’un seul de ces amours, les autres ne le comprennent pas. Ceux qui ne comprennent pas l’amour platonique n’ont aucune raison de parler de drame. En peut-il exister dans ces conditions ? « Bien obligé pour l’agrément que j’ai eu » : voilà tout le drame. L’amour platonique ne peut en connaître davantage, parce que là tout est clair et pur, parce que… »

À ce moment, Levine se rappela ses propres péchés et les luttes intérieures qu’il avait eu à subir ; il ajouta donc d’une façon inattendue :

« Au fait, peut-être as-tu raison. C’est bien possible… Je ne sais rien, absolument rien.

— Vois-tu, dit Stépane Arcadiévitch, tu es un homme tout d’une pièce. C’est ta grande qualité et aussi ton défaut. Parce que ton caractère est ainsi fait, tu voudrais que toute la vie se composât d’événements tout d’une pièce. Ainsi tu méprises