Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/167

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d’Anny (elle nommait ainsi sa fille) ou celui-là… », ajouta-t-elle désignant la belle nourrice italienne qui venait de descendre l’enfant au jardin, et jetait un regard furtif du côté de Wronsky. Cette Italienne dont Wronsky admirait la beauté et le « type moyen âge » et dont il avait peint la tête, était le seul point noir dans la vie d’Anna. Elle craignait d’en être jalouse, et se montrait d’autant meilleure pour cette femme et son petit garçon.

Wronsky regarda aussi par la fenêtre, puis, rencontrant les yeux d’Anna, il se tourna vers Golinitchef.

« Tu connais ce Mikhaïlof ?

— Je l’ai rencontré. C’est un original sans aucune éducation, — un de ces nouveaux sauvages comme on en voit souvent maintenant, — vous savez, — ces libres penseurs qui versent d’emblée dans l’athéisme, le matérialisme, la négation de tout. — Autrefois, continua Golinitchef sans laisser Wronsky et Anna placer un mot, autrefois le libre penseur était un homme élevé dans des idées religieuses, morales, n’ignorant pas les lois qui régissent la société, et arrivant à la liberté de la pensée, après bien des luttes ; mais nous possédons maintenant un nouveau type, les libres penseurs qui grandissent sans avoir jamais entendu parler des lois de la morale et de la religion, qui ignorent que certaines autorités puissent exister, et qui ne possèdent que le sentiment de la négation : en un mot, des sauvages. Mikhaïlof est de ceux-là. Fils d’un maître d’hôtel de Moscou, il n’a reçu aucune éducation.