Page:Tolstoï - Carnet du Soldat, trad. Bienstock.djvu/28

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me dit qu’il avait brûlé tous ses mémoires sur les guerres auxquelles il avait participé, parce que ses opinions sur les choses militaires s’étaient modifiées et que maintenant il considérait toute guerre comme une œuvre mauvaise qu’il est nécessaire de ne pas encourager en s’en occupant, mais qu’il faut au contraire discréditer par tous les moyens. Beaucoup d’officiers pensent de même, bien qu’ils ne le disent pas tant qu’ils sont au service.

En réalité, chaque officier qui réfléchit ne peut penser autrement. Il faut seulement réfléchir à ce qui occupe les officiers, depuis les grades inférieurs jusqu’aux plus élevés, jusqu’aux commandants de corps d’armée. Depuis le commencement jusqu’à la fin de leur service — je parle des officiers instructeurs — toute leur activité, à l’exception des périodes très rares et très courtes où ils vont à la guerre et sont occupés d’assassinat, se propose les deux buts que voici : apprendre aux soldats la meilleure façon de tuer des hommes et les habituer à une telle obéissance qu’ils fassent machinalement, sans raisonner, tout ce que leur ordonneront les chefs.

Dans le vieux temps on disait : « Fouettes-en deux à mort pour en instruire un » et on faisait cela. Si maintenant la proportion de ceux frappés à mort est moindre, le principe est resté le même. On ne peut amener les hommes jusqu’à ce degré sinon bestial, du moins mécanique, où ils commettent l’acte le plus contraire à la nature humaine et à la religion qu’ils professent, notamment l’assassinat, par ordre de chaque chef, sans que sur ces hommes on ne fasse l’expérience, non seule-