Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/139

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peuple cesse de croire au pouvoir et de le respecter et il ne se soumet à lui que parce qu’il ne peut faire autrement.

Or, depuis le milieu du siècle dernier, depuis que le pouvoir est devenu inébranlable et en même temps a perdu dans le peuple sa justification et son prestige, une doctrine a commencé à se manifester parmi les hommes : la doctrine que la liberté, — non cette liberté fantaisiste que propagent les partisans de la violence en affirmant que l’homme est obligé, sous peine de châtiment, d’exécuter les ordres des autres hommes, mais cette seule et vraie liberté, qui consiste en ce que chaque homme peut vivre et agir suivant sa propre raison : payer ou non les impôts, entrer ou non au service, être en bons ou mauvais termes avec le peuple voisin — que cette liberté seule et vraie est incompatible avec n’importe quel pouvoir des hommes sur les autres.

Selon cette doctrine, le pouvoir n’est pas, comme on le pensait autrefois, quelque chose de divin, d’auguste, ce n’est pas non plus la condition nécessaire de la vie sociale, mais simplement la conséquence de la violence grossière des uns envers les autres. Que le pouvoir soit entre les mains de Louis XVI ou du Comité du salut public, du Directoire ou du Consulat, de Napoléon ou de Louis XVIII, du Sultan, du