blanc et accompagné d’une suite nombreuse venait de passer en jetant quelques mots :
« Qu’a-t-il dit ? Où va-t-on ? S’arrête-t-on ? A-t-il remercié ? »
Tandis que ces questions s’entrecroisaient, cette masse vivante fut tout à coup refoulée dans son élan en avant par la résistance des premiers rangs, qui s’étaient arrêtés : l’ordre venait d’être donné de camper au milieu de cette route boueuse.
Les feux s’allumèrent et les conversations reprirent. Le capitaine Tonschine, après avoir pris ses dispositions, envoya un soldat à la recherche d’une ambulance ou d’un médecin pour le pauvre junker, et s’assit auprès du feu. Rostow se traîna près de lui : le frisson de la fièvre, causée par la souffrance, le froid et l’humidité, secouait tout son corps ; un sommeil invincible s’emparait de lui, mais il ne pouvait s’y abandonner, à cause de la douleur et de l’angoisse que lui faisait éprouver son bras ; tantôt il fermait les yeux, tantôt il regardait le feu, qui lui paraissait d’un rouge ardent, ou la petite personne trapue de Tonschine, qui, assis à la turque, le regardait avec une compassion sympathique de ses yeux intelligents et bons. Il sentait que de toute son âme il lui aurait porté secours, mais qu’il ne le pouvait pas.
De toutes parts on entendait des pas, des voix, le bruit de l’infanterie qui s’installait, des sabots des chevaux qui piétinaient dans la boue, et du bois que l’on fendait au loin.
Ce n’était plus le fleuve invisible qui grondait, c’était une mer houleuse et frissonnante après la tempête. Rostow voyait et entendait, sans comprendre ce qui se passait autour de lui. Un troupier s’approcha du feu, s’accroupit sur ses talons, avança les mains vers la flamme, et, se retournant avec un regard interrogatif vers Tonschine :
« Vous permettez, Votre Noblesse ? J’ai perdu ma compagnie je ne sais où ! »
Un officier d’infanterie qui avait la joue bandée s’adressa à Tonschine, pour le prier de faire avancer les canons qui barraient le chemin à un fourgon ; après lui arrivèrent deux soldats qui s’injuriaient en se disputant une botte :
« Pas vrai que tu l’as ramassée…
— En v’là une blague ! » criait l’un d’eux d’une voix enrouée.
Un autre, le cou entouré de linges sanglants, s’approcha des artilleurs en demandant à boire d’une voix sourde :